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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 13:07

 

(.........)

─ Que faites vous dans la vie, Nathalie ? 

 

Et là, je ne sais pas ce qui me prend. Par provocation? Pour le piéger? Le déstabiliser ?  Quoi qu’il en soit, avec une spontanéité et un aplomb que je ne me connaissais pas, je m’entends répondre :

 ─ Je suis psycho-criminologue, expert judiciaire auprès de la cour d’appel de Paris.

A la vitesse de l’éclair mon cerveau se remémore l’interview que j’ai parcouru  au hasard dans la salle d’attente de mon médecin, cette femme, défendant son métier à un moment où, expliquait-elle, tout un tas d’imposteurs pouvaient se vendre comme « profiler », aucun diplôme n’étant exigé.

Pendant un court instant, son visage se fige, me faisant croire que j’ai fait mon petit effet, que j’ai atteint mon objectif ! Te voilà prévenu! On ne me la fait pas à moi! Inutile de faire l’homme cultivé, le poète! T’es transparent mon gars! Les types comme toi je les repère à la vitesse de l’éclair! J’en ai démasqué d’autres! Et pas qu’un peu!!! Et tandis que l’autosatisfaction me gagne, que j’en viendrais presque à croire  à mon propre mensonge,  je me vois déjà au 20h ! Un type recherché depuis 20 ans! Vous imaginez?! 50 ans, race blanche, des relations conflictuelles avec sa mère, mythomane, schizophrène, et encore, je ne peux pas tout dire ! Secret professionnel oblige ! Comment j’ai deviné? En goutant à ces malloreddus pardi! Ces gnocchis sardes avaient un aspect particulier! Ça m’a mis sur la voie !

 

 Brusquement, et alors que je ne m’y attends absolument pas, un éclat de rire franc et sonore me ramène à la réalité:

─ Ça alors! Je vous imaginais, je ne sais pas moi, artiste ou historienne, médecin ou architecte, mais là ! Je suis surpris, vraiment! Mais ca doit être passionnant comme métier! Je croyais que cela n’existait que dans les films américains! 

Et ma première réaction est de me sentir vexée! Et non pas  parce que mon stratagème tombe à l’eau et que je réalise maintenant que je vais devoir tenir ce rôle ridicule, mais blessée qu’il ne puisse pas m’imaginer exerçant ce métier sur lequel moi je projette tant de fantasmes ! 

Je me compose un visage souriant, dans le genre complice,  et pour faire diversion je tends la main vers la bouteille de Mirto

─ Je peux ? 

─ Mais oui, bien entendu! Et laissez Nathalie, c’est à moi de vous servir; mais il nous faut les verres adéquats 

Sur ce, il se lève, contourne la table et ouvre les portes d’un petit buffet que je n’avais pas remarqué.  A l’intérieur s’alignent,  étincelants,  des verres de toute taille. Il en sort deux. Deux minis verres à pieds, les pose sur la table. Ces gestes sont sûrs, délicats. En l’observant ainsi, il me donne l’impression d’être un homme parfaitement bien éduqué. Il a en lui quelque chose de rassurant. C’est  étrange. Il nous serre. Assez généreusement.

Tandis que l’alcool brule ma gorge, je frisonne. Il le remarque.

─ Vous avez froid? 

─ Oui, un peu. 

 D’un bond, il se lève, quitte la pièce, et revient un court instant plus tard une sorte de plaid à la main. Il s’approche de moi, le déplie et le pose avec douceur sur mes épaules.

─ La température baisse toujours beaucoup la nuit dans ces montagnes.

─ Merci, merci beaucoup 

─ Ce n’est rien vous savez, j’ai aimé cette journée, vous découvrir là sur le pas de ma porte, trempée, perdue. C’est si inattendu. Personne ne vient jamais ici. Avez-vous remarqué que les choses n’arrivent jamais au hasard? Mais toujours pour une raison ? 

 Alors que je ne sais quoi répondre, que je reste muette, il poursuit :

─ Enfin avec votre métier, j’imagine que vous voyez ce que je veux dire ? 

 Pour éviter de répondre, je porte mon verre à mes lèvres. Et à cet instant, il rajoute :

─  Qu’êtes vous venue faire là, au juste, Nathalie?   

Tout mon corps se raidit. Je serre le plaid contre moi, baisse la tête. Je cherche mes mots, hésite. Mon cerveau tourne en boucle.

─ Mais je me suis perdue, je vous ai expliqué, je… pourquoi me posez-vous cette question ? Ma présence ici, c’est le hasard, le hasard total…je...

 Je me sens comme essoufflée, subitement abattue, exténuée.

Il prend son verre, le boit cul-sec, et nous ressert tous les deux. Puis, avec lenteur, il pose ses coudes sur la table et pose son visage dans ses mains. Je me sens de plus en plus mal à l’aise. 

─ Alors vous ne m’avez pas reconnu ? ».

 A ces mots, mes jambes se mettent à trembler sous la table, je me recule sur ma chaise, m’appuie contre son dossier, le regarde. Il me fixe, sans bouger. Une statue. Il se tait.  Ce silence me parait interminable.

─ Vous ne vous êtes pas perdue Nathalie, vos pas vous ont guidé jusqu’ici, jusqu’à moi. Aucun chemin ne mène ici. Vous êtes partie ce matin avec une intention. Vous devez maintenant la comprendre. Sauf à être complètement stupide, ce que je ne crois pas que vous êtes, personne ne part sans but, sans objectif 

  Et alors, il pointe son doigt vers moi et rajoute, lentement :

─ Vous cherchez quelque chose. Vous êtes venue chercher quelque chose. 

(....)

 

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